Noël triste
Pour moi, le most wonderful time of the year, c’est peut-être les premiers matins d’automne frais, quand les feuilles commencent à rougir pis que le fond de l’air sent la fin de l’été. C’est peut-être les party impromptus de juillet, quand les amis se retrouvent pour boire des bières sur une terrasse, du coucher de soleil jusqu’à tard dans la nuit. C’est peut-être le premier feu de foyer de l’hiver, au chalet, après une marche sur le lac gelé. Mais une chose est certaine; c’est pas pantoute le temps des Fêtes. Noël, j’trouve que c’est un peu de la marde.
J’ai jamais été l’incarnation même du Christmas spirit. Je suis une anxieuse sociale qui aime pas les gros gatherings un peu forcés, remplis de small talk. J’aime mieux les petits comités, où on peut se jaser pour de vrai. J’aime pas conduire loin, l’hiver, le soir. Noël, dans mon livre à moi, c’est une fête très commerciale qui stresse le monde plus qu’elle les rapproche.
Y’a tout ça, pis il y a aussi le fait que le 25 décembre, c’est la fête de mon père, décédé il y a 11 ans. Chaque année, cette date fait remonter une tonne de souvenirs qui sont durs à avaler, entre deux bouchées de tourtière, pendant qu’on jase de la dernière bordée de neige autour de la table. Même entourée de toute ma famille que j’aime le plus du monde (pis malgré mes très nombreux privilèges), à cette date, je me sens toujours très seule. Une boule d’angoisse, de tristesse et de nostalgie me serre le ventre des jours avant le fameux réveillon. C’est d’autant plus difficile à vivre que de toutes parts, des réseaux sociaux aux publicités dans le métro, on me bombarde de; «C’EST NOËL FAUT VRAIMENT ÊTRE DE BONNE HUMEUR PIS CÉLÉBRER PIS ÊTRE JOYFUL, SWING LA BACAISSE, AWAILLE.»
J’veux pas être grinch. Tant mieux, si certaines personnes tripent sur Noël, si ça les fait sentir bien, entourés, grateful. Mais j’ai l’impression que, pour plusieurs, pour plus de gens qu’on le pense, c’est pas ça pantoute. L’allégresse du temps des Fêtes qu’on nous pousse dans le fond de la gorge, ça peut faire sortir toutes nos bibittes au lieu de nous aider à apprécier ce moment de l’année. Ça nous rappelle ceux qui sont plus là pour célébrer avec nous. Ça nous rappelle qu’on est tout seul. Ça nous rappelle que notre famille est loin d’être parfaite. Ça nous rappelle qu’on est peut-être pas aussi proche de notre monde qu’on aimerait. Ça nous rappelle les beaux et moins beaux réveillons d’avant. Pour toutes sortes de raisons, ça peut trigger notre tristesse, notre colère, notre solitude, notre nostalgie, notre désespoir. En plus de vider notre portefeuille et notre restant d’énergie post-blitz-d’avant-vacances.
Faque j’ai décidé, pour mon bien-être, que désormais, Noël, c’était mon moment à moi. Ça aide que je sois à 5000 km des réveillons organisés par ma famille, me direz-vous, et vous aurez raison. Mais ça reste une grosse décision de dire «non». D’annoncer que cette année non plus, je serai pas là. Que je serai en train de digérer ma peine sous le soleil de la Tanzanie, à la place, parce que c’est ça qui est le mieux pour moi. Parce que, paradoxalement, c’est en étant juste en ma propre compagnie, durant le temps des Fêtes que je me sens le moins seule, le plus près de moi.
C’est un billet personnel, que j’écris là. J’me gêne jamais vraiment pour être transparente, mais là, je creuse deep, parce que je trouve ça important de jaser du pas-beau, du sombre qu’on a en dedans. C’est rare que j’dis ça, mais en ce qui a trait à Noël, je pense qu’on devrait arrêter de se forcer. T’as pas d’argent? Achète pas de cadeaux, pis dis à tes proches de pas t’en faire non plus. Allez prendre une bière ensemble plus tard, à la place. T’as pas envie de réveillonner en gros groupe? Reste chez vous, achète-toi un souper que t’aimes pis binge watch une télésérie sur Netflix. T’es triste? Fait pas semblant d’être de bonne humeur. T’as le droit de l’avoir à travers l’œsophage, le maudit temps des Fêtes, de pas te sentir festif pantoute. Pis t’as le droit de le dire, d’en parler. Parce que ça va faire sentir les autres âmes tristes moins tu-seuls dans leur schnoutte, mais aussi parce que Noël, me semble, c’est censé être à propos des connexions humaines, du réconfort qu’on peut s’apporter entre nous. C’est pas vrai que tout le monde a la switch du bonheur à on durant une grosse semaine de réveillons. C’est invraisemblable, pis faker – comme pour les orgasmes - , ça aide personne. Soyons vrais.
À Noël, cette année, vous allez me voir publier des couchers de soleil à Zanzibar, #blessed pis toute. Mais vous voyez comment les réseaux sociaux sont trompeurs. Je pars pas danser la rumba entre deux rhum and coke. Je pars parce que j’ai le cœur lourd. Je pars pour me changer les idées. Je pars parce que ma misère sera peut-être moins pénible au soleil. (S’cusez la.)
Mes Noëls sont tristes, peut-être que les vôtres aussi. Mais savez-vous quoi? C’est correct. Y’en a plein, plein d’autres, des wonderful time of the year.